Responsabiliser l’État pour les tortures et mauvais traitements commis en Tunisie : un contentieux prometteur



Plus de 600 cas de torture et mauvais traitements ont été documentés par SANAD entre 2013 et 2021. Aucun n’a donné lieu à une condamnation pour torture. Seule une condamnation sur ce fondement a été prononcée en 2011. Les rares autres procès qui ont vu le jour ces dernières années ont vu les faits qualifiés de violence, même lorsqu’il s’agissait de torture selon la définition donnée par la Convention contre la torture. Dans tous les cas, les indemnisations prononcées par le juge pénal ont été faibles, bien inférieures au préjudice subi par la victime.

Face aux insuffisances de la justice pénale, SANAD Elhaq se tourne vers la justice administrative tunisienne.

Elle met en place une stratégie de contentieux administratif visant à obtenir réparation pour ses bénéficiaires, que les faits aient ou non été portés à l’attention de la justice pénale. Ces requêtes, qui prennent la forme de recours de plein contentieux, consistent à mettre en cause la responsabilité d’une administration (essentiellement le ministère de l’Intérieur ou le ministère de la Justice pour les cas qui nous intéressent) pour la torture ou les mauvais traitements infligés par ses agents. L’objectif est que cette responsabilité soit reconnue et que l’administration indemnise la victime pour les différents préjudices subis. La torture ne blesse pas que le corps, elle détruit l’équilibre psychologique des victimes et peut entraîner une stigmatisation sociale, la perte d’un emploi ou d’une opportunité d’emploi, elle peut s’accompagner de pertes matérielles et occasionner des dépenses, tels que des frais médicaux.

Les préjudices physiques, psychologiques, moraux, matériels, financiers engendrés par la torture sont nombreux et doivent tous être dûment indemnisés pour mettre la victime sur la voie de la réparation.

A travers le contentieux administratif, SANAD Elhaq espère aider des victimes à reprendre leur vie, mais aussi responsabiliser l’administration et l’État afin de prévenir à l’avenir le recours à la torture. Aussi regrettable que cela paraisse, il parfois attendre d’un problème social devienne coûteux pour que l’État s’y attaque.

Un guide pour outiller les avocats dans un contentieux technique

Comme première étape de cette nouvelle stratégie contentieuse, SANAD Elhaq publie un guide sur la jurisprudence du tribunal administratif en matière de responsabilité de l’Etat. Rédigé par Anouare MNASRI, magistrate au tribunal administratif de Tunis, avec le concours Sara YAAKOUBI, le guide présente les bonnes pratiques et les précédents sur lesquels les avocats de SANAD Elhaq pourront s’appuyer pour élaborer des recours étayés et bien argumentés.

Le guide couvre tous les aspects du plein contentieux, de la qualification de la responsabilité à l’utilisation opportune des référés, en passant par la difficile évaluation des différents préjudices subis par les victimes. Il doit être lu à l’aune des standards internationaux en matière de réparation pour les victimes de torture et mauvais traitements, et notamment l’Observation générale n°3 du Comité contre la torture sur l’article 14 de la Convention contre la torture sur le droit à réparation, ainsi que les Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire

Sur la base du guide, l’OMCT a élaboré deux petits guides en arabe pour appuyer la préparation, par les avocats, de recours en plein contentieux pour les personnes victimes d’assignation à résidence et de mesures de contrôle administratif arbitraires sur la base de leur fichage :