MABROUKA ELDKHILI

Le calvaire de Mabrouka El-Dakhili a commencé lorsque son mari Abdelkader al-Souii a été soupçonné d’appartenir au mouvement islamiste. La surveillance quotidienne et les raids nocturnes effectués par les agents de sécurité sont devenus leur pain quotidien. Les interrogatoires et les descentes ne dépassaient guère les quelques heures, ou une journée, tout au plus, avant que son mari ne soit libéré. Mais cette fois, sa garde à vue a trop duré et il ne rentra pas chez lui. C’était le 25 octobre 1994.
Soixante jours après sa condamnation, Abdelkader est décédé le 9 mars 1995 après que les autorités eurent délibérément négligé de lui fournir un régime alimentaire spécial adapté à sa maladie de troubles gastriques, ce qui lui a provoqué un cancer. Abdelkader a laissé derrière lui une femme et quatre enfants. L’ainé Abdulhamid, ayant alors moins de dix ans, a dignement remplacé son père en portant le fardeau de la famille.
Il a grandi sur le souvenir des bruits des agents de police qui tapaient du pied la porte de sa maison pour réveiller ses frères cadets et terroriser sa mère exténuée. L’image de son père trainé par ses vêtements au poste de police -sous les regards des voisins effrayés, malveillants et boycottant tous les membres de sa famille- ne l’a jamais quitté. Il en fait une cause personnelle, voire une conviction ferme, pour adopter le même processus qui a mené à son arrestation, le 17 novembre 2006, pour la même accusation attribuée à son père. Après avoir perdu son mari, Mabrouka fut frappée d’un deuxième drame qui se traduit par l’incarcération de son propre fils, le soutien familial qui lui a fait oublier le deuil laissé par la mort de son époux : « C’est lui qui m’a fait oublier la mort de son père ».
Abdelhamid ne fut relâché qu’après le déclenchement de la révolution tunisienne, c’est-à-dire après cinq ans d’incarcération et vingt ans de harcèlement, de contrôle et d’interrogatoires sécuritaires. Une fois son calvaire fini à jamais, Mabrouka ne put s’empêcher de lever les bras au ciel, d’un geste involontaire, et d’implorer le Tout-Puissant : « Oh mon Dieu ! Faites-en que ces journées horribles ne reviennent plus ».