2023-Déc | L’affaire Rached Jaïdane, un nouveau tournant dans une longue quête de justice



Cela fait maintenant 30 ans que la vie de Rached Jaïdane a basculé. En 1993, alors qu’il travaille comme enseignant à l’université en France, Rached Jaïdane se rend en Tunisie pour assister au mariage de sa sœur. Ce qui doit être un évènement heureux se transforme en cauchemar lorsque le 29 juillet, des agents de la Sûreté de l’Etat l’interpellent à son domicile, sans mandat. S’ensuivent 38 jours de détention au secret et de torture au ministère de l’Intérieur, sous la supervision directe de hauts responsables du régime sécuritaire de Ben Ali. Rached Jaïdane est interrogé sur ses liens présumés avec un responsable du parti islamiste Ennahda vivant en exil en France. Il finit par signer des aveux sans même les lire. Il est ensuite jugé en 45 minutes et condamné à 26 ans d’emprisonnement. Il n’en sortira qu’après 13 années de tortures et mauvais traitements.

« J’ai le souffle pour aller jusqu’au bout »

Rached Jaïdane continue de souffrir des nombreuses séquelles physiques et psychologiques résultant des violations qu’il a subies. Malgré le traumatisme, il fait preuve d’une résilience exemplaire et témoigne d’une volonté inextinguible d’obtenir justice pour lui, pour sa famille, pour le peuple tunisien.

A l’époque où Rached Jaïdane subissait tortures et mauvais traitements, il était illusoire d’imaginer obtenir une quelconque forme de justice contre un système sécuritaire parfaitement protégé. Ce n’est qu’aux lendemains de la révolution qu’il peut enfin porter plainte. Devant la justice pénale régulière d’abord. Sans succès, car en 2015, après une enquête judiciaire prometteuse, il se voit opposer la prescription des faits. Le tribunal relève en effet que la torture n’était pas criminalisée dans le code pénal dans les années 1990, malgré la ratification par l’État tunisien de la Convention contre la torture en 1988, à travers laquelle il s’est engagé à criminaliser la torture. En raison de ce manquement de la Tunisie à un engagement international, les sévices indescriptibles que Rached Jaïdane a subis sont qualifiés de simple délit de violence, passible d’un maximum de cinq ans d’emprisonnement.

Les tortionnaires repartent libres…

Rached Jaïdane saisi alors le Comité contre la torture des Nations unies qui, en 2017, condamne la Tunisie pour les sévices qui lui ont été infligés et accuse l’Etat d’avoir violé la Convention contre la torture en laissant ces faits impunis. Le Comité ordonne à l’État de rendre justice à Rached Jaïdane. Cette décision est contraignante et le Comité s’informe régulièrement de sa mise en œuvre.

En parallèle de cette procédure internationale, Rached Jaïdane se tourne vers la justice transitionnelle. Son dossier est un de ceux que l’Instance Vérité et Dignité a renvoyés pour jugement devant la chambre spécialisée de Tunis. Le procès s’ouvre en octobre 2018. Cinq ans et 22 audiences plus tard, la chambre n’a toujours pas rendu de verdict, bien que l’affaire soit prête à être plaidée.

Quand on lui demande si, face aux obstacles auxquels il est confronté, il est tenté de baisser les bras, Rached Jaïdane répond invariablement : « J’ai le souffle pour aller jusqu’au bout ; je le fais pour la jeunesse tunisienne ».

« La torture est une responsabilité de l’État avant tout »

Face aux atermoiements de la justice pénale, Rached Jaïdane se tourne à présent vers la justice administrative. Avec le soutien de son avocate, Me Faten Abassi, mandatée par SANAD Elhaq, il vient de déposer deux requêtes mettant en cause la responsabilité de l’État tunisien : l’une pour les tortures, mauvais traitements et détention arbitraire subies de son arrestation en août 1993 à sa libération, 13 ans plus tard ; l’autre pour le déni de justice qu’il subit depuis lors, malgré tous ses efforts pour obtenir la condamnation de ses agresseurs et une réparation pour ce qu’il a enduré.

« La torture est une responsabilité de l’État avant tout », rappelle Me Abassi. « Il est du devoir de l’État de protéger toute personne de la torture exercée par ses agents en vertu de leurs prérogatives. La condamnation pénale des tortionnaires est cruciale mais la responsabilisation de l’État l’est tout autant s’il fait preuve d’inertie et de défaillances. Il n’y a qu’en tenant l’État tunisien responsable pour les graves violations exercées par ses agents, que les autorités vont prendre conscience de la nécessité urgente d’éradiquer le phénomène tortionnaire ».

Contact média :

Hélène Legeay, hl@omct.org / 98.746.566.

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