50 jours après l’article 80 une rupture dans la continuité



Le 25 juillet, suite à une journée de manifestations sur tout le territoire, le Président de la République Kais Saied a déclenché l’article 80 de la Constitution tunisienne de 2014 et a, dans une interprétation très controversée dudit article, gelé le Parlement ainsi que révoqué le gouvernement de Hichem Mechichi sur fond de crises économique, sociale, sanitaire et de confiance envers les institutions. La décision du Président a été accueillie avec un grand enthousiasme le soir-même et le lendemain, notamment devant le Parlement au Bardo. Le dégagisme à l’œuvre contre le parti Ennahda, ainsi que d’autres partis politiques jugés responsables du marasme actuel du pays, 17 cristallisant le ressentiment, a contribué à rendre
cette prise de pouvoir unilatérale populaire. Il reste que 50 jours après l’activation de cet article, d’une manière encore une fois constitutionnellement discutable (notamment absence de Cour constitutionnelle, censée statuer sur le maintien de l’état d’exception après 30 jours1), le Président n’a toujours pas présenté de feuille de route ni formé de gouvernement. Le

3 août 2021 au soir, Kais Saied a annoncé via la page Facebook de la présidence2 la prolongation de la période d’exception pour une durée non déterminée et a assuré qu’il fera une déclaration au peuple tunisien dans les prochains jours. Il a depuis lors fait plusieurs déclarations télévisées mais sans présenter de feuille de route.

L’instauration de l’état d’exception a coïncidé avec l’intensification de la dynamique sécuritaire, marquée par un certain nombre de mesures prises à l’encontre de plusieurs personnalités notamment des hommes politiques,
ancien.ne.s hauts fonctionnaires, avocat.e.s, hommes/femmes d’affaires et autres personnes accusées de corruption. Bien que ces mesures “musclées” aient été saluées par une large partie de la population, tout comme le tour de force de Kais Saied continue d’être soutenu3, elles n’en demeurent pas moins problématiques. D’abord car elles n’ont rien d’une nouveauté, des milliers de personnes ayant été victimes de mesures arbitraires portant atteinte à leur liberté de circulation avant et après la révolution, via notamment l’arsenal de fiches S décriées à maintes reprises par la société civile. Ensuite car ces mesures sont illégales et inconstitutionnelles, au regard de la Constitution et du droit international des droits de l’Homme applicable à la Tunisie, comme cela a déjà été confirmé par la jurisprudence administrative. Rappelons que ces mesures restrictives de liberté sont des mesures de contrôle administratif prises en dehors de toute procédure judiciaire. Derrière l’utilisation de ces mesures se trouve donc la “continuité” de cette phase de rupture : celle de la persistance du recours à ce type de restrictions de libertés arbitraires, bien que le champ de leurs cibles semble s’élargir et que la Présidence, via le Ministère de l’Intérieur, semble désormais les orchestrer directement. Néanmoins, ces déductions restent spéculatives vu l’absence des décisions judiciaires et le recours aux “directives”. Les personnes ne sont pas informées à l’avance, l’apprennent d’une manière fortuite lors d’un déplacement et n’ont aucune information sur la date de fin de ces mesures ni leur motif et ce telles qu’elles étaient appliquées antérieurement.

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