D’états d’urgence en états d’exception, la démocratie tunisienne croule sous les régimes dérogatoires



Tunis, le 3 septembre 2021 – L’OMCT appelle le Président et les membres de l’exécutif à faire cesser immédiatement les mesures restrictives de liberté imposées par le ministère de l’Intérieur à un nombre toujours plus grand de citoyens et à garantir de façon inconditionnelle le respect des engagements internationaux de la Tunisie en matière de droits humains.

Cela fait des années que l’OMCT documente des pratiques arbitraires des forces de sécurité matérialisées entre autres par l’imposition de mesures de contrôle administratif à des citoyens tunisiens tombés pour une raison ou une autre dans le collimateur des autorités. Ces mesures de contrôle, fondées en partie sur le décret présidentiel n°1978/50 relatif à l’état d’urgence, prennent bien souvent la forme de restrictions à la liberté de circulation telles que l’interdiction de quitter le territoire ou encore l’assignation à résidence. Elles sont généralement infligées à des personnes fichées S en raison de la présumée menace qu’elles posent à l’ordre public. Le Tribunal administratif a rendu plusieurs jugements déclarant que les mesures restrictives de libertés se fondant sur ce décret sont anticonstitutionnelles mais elles continuent d’être appliquées.

L’état d’urgence, en vigueur de façon ininterrompue depuis 2015, a eu un impact très négatif sur les libertés individuelles. Depuis l’instauration par le Président de la République de l’état d’exception le 25 juillet dernier, les restrictions de liberté se sont multipliées, touchant aujourd’hui un large spectre de citoyens tunisiens et notamment des personnalités politiques, des député.e.s, des magistrat.e.s, des avocat.e.s et des hommes/femmes d’affaires. Ces mesures de contrôle qui étaient jusqu’à présent utilisées comme outil de contrôle sécuritaire semble aujourd’hui servir aussi des intérêts politiques.

Analysées à l’aune du Pacte international pour les droits civils et politiques (PIDCP) qui fixe les standards internationaux en matière de protection et restrictions des libertés fondamentales, les restrictions à la liberté de circulation imposées par le ministère de l’Intérieur apparaissent dénuées de fondement légal et ne sont vraisemblablement ni nécessaires ni proportionnelles. Si l’article 4 du PIDCP autorise les États à déroger à certains droits et liberté en situation d’état d’urgence ou d’exception, de telles dérogations doivent respecter des conditions essentielles à leur légalité. « Toute restriction de liberté doit en effet être prévue par une loi, être nécessaire, proportionnelle et doit pouvoir faire promptement l’objet d’un contrôle par une autorité juridictionnelle indépendante. Ces principes sont d’ailleurs ancrés dans l’article 49 de la Constitution tunisienne. Or, il n’en est rien des mesures de contrôle administratif imposées par le ministère de l’Intérieur depuis des années. Outre leur caractère arbitraire, celles-ci sont souvent constitutives d’un véritable harcèlement policier aux conséquences dévastatrices sur ceux qui les subissent. », rappelle Gerald Staberock, Secrétaire général de l’OMCT. « Plus de 30 ans d’expérience militante aux côtés des membres de notre réseau mondial SOS-Torture nous ont appris que le retour à la constitutionnalité doit être une priorité dans des contextes de crise et d’urgence. »

Si les personnes victimes de ces mesures restrictives étaient véritablement soupçonnées de comportement criminel ou délictueux comme l’insinuent souvent les autorités, elles devraient faire l’objet de poursuites pénales de la part d’une justice indépendante et non de privations de liberté ordonnées sans base légale, pour une durée illimitée, sans justification ni objectif clair et sans autorisation judiciaire.

L’intensification du recours aux mesures restrictives de liberté est d’autant plus préoccupante qu’elle intervient dans un contexte de vacillement de la démocratie aggravé par les mesures prises par le Président dans le cadre de l’état d’exception. La concentration des pouvoirs aux mains du Président, la paralysie du Parlement, la partielle mise en veille du pouvoir judiciaire à la faveur de la crise sanitaire et les attaques répétées sur les réseaux sociaux à l’encontre de toute personne formulant des critiques à l’égard du pouvoir actuel sont autant de menaces au maintien de l’État de droit. La traduction de civils devant la justice militaire est à cet égard très inquiétante.

Ces dernières années, la Tunisie a été en proie à une instabilité politique, des blocages institutionnels et une corruption rampante qui expliquent l’accueil positif réservé par une part substantielle du peuple tunisien aux décisions prises par le président depuis le 25 juillet dernier. La lutte contre les dérives de la démocratie tunisienne ne doit cependant pas se faire au prix d’une abrogation de facto de la Constitution et de l’Etat de droit.


En ces temps troublés, l’OMCT appelle le pouvoir judiciaire à jouer pleinement son rôle de garde-fou et à s’assurer que les droits humains et l’État de droit ne soient pas les premières victimes de la superposition des régimes d’exception.

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