7 avril 2021 – Alors que les audiences se succèdent devant les chambres spécialisées en justice transitionnelle, les bancs des accusés demeurent quasiment vides et l’exaspération des victimes s’accroît chaque jour davantage. Plusieurs d’entre elles viennent de décider de porter plainte contre les officiers de police judiciaire qui n’exécutent pas les mandats d’amener ordonnés par les chambres et permettent ainsi aux tortionnaires d’échapper à la justice. Nos organisations soutiennent cette initiative visant à en finir avec une justice à deux vitesses.
La révélation de la vérité et la reddition de compte et l’éventuelle réconciliation qui peut s’ensuivre exigent une participation égale des auteurs autant que des victimes des exactions.
A chaque audience devant les chambres spécialisées, les victimes sont présentes, attendant inlassablement que les accusés viennent éclairer les rouages de la machine tortionnaire et rendre des comptes. Mais les bancs des accusés sont toujours clairsemés quand ils ne sont pas tout simplement vides. En droit pénal tunisien, comme partout ailleurs, la participation d’un accusé à son procès pénal n’est pourtant pas facultative. Avant chaque audience, la cour adresse des convocations. Lorsque les accusés persistent à éviter leur procès, le tribunal délivre des mandats d’amener ordonnant à la police judiciaire de les interpeller et de les conduire par la contrainte au tribunal. Ces mandats d’amener demeurent lettres mortes, les accusés sont prétendument introuvables. Beaucoup d’entre eux sont pourtant d’anciens cadres de l’appareil sécuritaire et sont aisément localisables. Certains ont même été à plusieurs reprises aperçus par les victimes.
Comment expliquer un tel absentéisme et l’incapacité de l’appareil judiciaire à faire appliquer la loi ? La relation entre les accusés et les officiers de police judiciaire qui sont censés garantir leur présence aux procès est marquée par un profond corporatisme. Cette prévalence de l’esprit de corps sur le respect de la loi a été rappelée à plusieurs reprises par les syndicats de police qui ont appelé les agents des forces de l’ordre à désobéir à la loi dans le cadre de la justice transitionnelle. Si les procès se poursuivent dans ces conditions, un nombre conséquent d’accusés vont être jugés et potentiellement condamnés en leur absence. Si la police échoue à assurer leur présence au tribunal pour assister à leur procès, elle ne sera certainement pas plus proactive pour garantir l’exécution des jugements qui seront prononcées par les chambres à l’issue des procès.
Au-delà de la déception des victimes, l’absence de nombreux accusés aux procès est un coup de massue porté à l’état de droit. Elle inscrit le retour au principe de justice à deux vitesses distinguant selon la qualité des accusés : une justice effective pour les accusés citoyens « lambda » contre une justice d’exception bien plus clémente à l’égard des accusés membres des forces de sécurité.
C’est pour remédier à cette dérive que les victimes, avec le soutien de nos organisations, viennent de déposer des plaintes pénales contre les officiers de police judiciaire qui en omettant d’exécuter les mandats d’amener, apportent leur concours à l’impunité. Un tel comportement est constitutif d’une infraction pénale à plusieurs titres et doit impérativement être sanctionné.
Contacts presse : Oussama Bouagila, Chargé de plaidoyer à l’Organisation Mondiale Contre la Torture
Email : ob@omct.org Téléphone : 27 842 197
Organisations signataires :