Communiqué de presse | Du cauchemar du fichage et de l’impuissance de la justice



Communiqué de presse

Tunis, le 18 mars 2021 – Alors que la problématique du fichage revient sur le devant de la scène, nos organisations, qui fournissent depuis des années une assistance juridique, psychologique et sociale à des personnes fichées, souhaitent apporter des clarifications essentielles et déconstruire des idées reçues.

Le fichage S17 est une mesure frontalière

Oui la plupart des personnes fichées sont contrôlées lorsqu’elles passent la frontière. Elles peuvent subir un interrogatoire tellement poussé qu’elles finissent par manquer leur avion. Elles peuvent aussi se voir interdire de quitter le territoire lors du passage de la police des frontières.

Mais les effets du fichage S17 sur les restrictions de liberté vont bien au-delà de l’entrave à la sortie du territoire tunisien. Le fichage (S17, S1, S6 ou autres, le S17 n’étant que le plus connu) expose la personne fichée à de nombreuses restrictions de libertés constitutives d’un véritable harcèlement policier. L’assignation à résidence, les convocations répétées au poste de police, les perquisitions en dehors de toute procédure judiciaire, les immobilisations prolongées lors de contrôles routiers, ou encore les enquêtes de voisinage et les visites d’agents de police au domicile et sur le lieu de travail sont parmi les nombreuses mesures infligées parfois quotidiennement aux personnes fichées.

Les restrictions de liberté dans leur quotidien infligées aux personnes fichées engendrent des préjudices matériels et psychologiques graves. En effet, les arrestations fréquentes engendrent souvent une stigmatisation qui a pour conséquence des ruptures de lien social pouvant altérer les liens au sein de leur propre famille. Certaines perdent leur emploi, leur logement … Des couples finissent par divorcer, des enfants sont traumatisés, d’autres sont élevés pendant des années dans la restriction de leurs libertés (étant donné qu’ils vont subir les restrictions de leurs parents) ce qui ne sera pas sans impact sur le transgénérationnel.

Le fichage est une prérogative discrétionnaire de l’administration

Oui le ministère de l’Intérieur a le droit de ficher des citoyens selon leur dangerosité présumée. Le fichage est une modalité classique de la politique de surveillance d’un pays.

Mais un tel fichage consiste normalement à surveiller discrètement une personne et non à restreindre ses libertés. Selon l’article 49 de la Constitution tunisienne et selon les engagements internationaux souscrits par la Tunisie, toute mesure restrictive de liberté doit notamment impérativement être prévue par une loi.

Or, parmi les mesures restrictives de liberté infligées aux personnes fichées, certaines, telles que l’assignation à résidence et l’interdiction de quitter le territoire, sont fondées selon l’administration non pas sur une loi, mais sur un texte réglementaire (décret n° 75-342 du 30 mai 1975, fixant les attributions du ministère de l’Intérieur et décret n° 78-50 du 26 janvier 1978 réglementant l’état d’urgence). D’autres mesures, telles que les convocations répétées au poste de police ou encore les immobilisations lors de contrôles routiers, n’ont tout simplement aucun fondement juridique.

Les personnes fichées peuvent faire un recours juridictionnel pour faire lever leur fichage

Oui comme l’a rappelé le Chef du Gouvernement il y a deux jours, les personnes fichées peuvent saisir le tribunal administratif pour faire lever la mesure de fichage et faire cesser les restrictions de liberté afférentes.

Mais contrairement aux affirmations du le Chef du Gouvernement, le ministère de l’Intérieur est peu enclin à respecter les décisions pourtant contraignantes du tribunal administratif. Nos organisations ont assisté ces dernières années plusieurs personnes fichées dans le cadre de recours juridictionnels contre leur fichage. Beaucoup ont gagné leurs recours mais continuent d’être soumis à un harcèlement insupportable. Le vécu d’injustice et la peur face à la toute-puissance de l’appareil sécuritaire sont d’autant plus fort que les autorités judiciaires, seul rempart contre l’arbitraire du pouvoir, se montrent incapables d’imposer leurs décisions. Cela génère un fort ressentiment qui contribuent à alimenter la violence à l’égard de l’Etat.

L’OMCT, PDMT et ASF appellent le ministère de l’Intérieur à :

  • Cesser instamment la mise en œuvre à l’encontre d’individus de mesures de contrôle administratif qui ne seraient pas conformes aux exigences de légalité, de nécessité et de proportionnalité ;
  • Respecter sans délai les décisions rendues par le tribunal administratif.
  • Sanctionner tout agent qui restreindrait arbitrairement la liberté d’un individu, à plus forte raison lorsque cette restriction intervient en dépit d’une décision du tribunal administratif ordonnant la levée du fichage et des mesures de contrôle administratif
  • Accorder réparation à tout individu qui a été victime d’une restriction arbitraire de ses droits et libertés.

Contact média : OMCT > Hélène Legeay, Email : hl@omct.org, Téléphone : 98 746 566