Tunis, le 14 décembre 2020
Alors que le peuple tunisien s’apprête à célébrer les 10 ans de la révolution qui a mis fin à des décennies de règne de l’arbitraire, la consolidation de l’état de droit tarde à se concrétiser. La mutation du pays vers un État réellement démocratique est conditionnée par le succès du processus de justice transitionnelle, entamé au lendemain de la révolution. Ce processus a vocation à témoigner de la volonté et la capacité de l’État tunisien d’en finir avec l’héritage des violations graves des droits humains et l’impunité qui le sous-tend. Néanmoins, ce processus demeure fragile et fait face aujourd’hui à de nombreuses menaces. Depuis sa mise en place en Juin 2014, l’Instance Vérité et Dignité (IVD) n’a cessé d’être ciblée par une couverture médiatique des plus hostiles et menacée par l’absence de volonté politique et de mobilisation des moyens nécessaires à son travail. Le 24 Juin 2020, un an et demi après sa finalisation, le rapport final de l’IVD a enfin été publié dans le Journal Officiel de la République Tunisienne (JORT). Une première étape a ainsi été franchie dans le long processus de justice transitionnelle qui doit encore voir la réparation et la réhabilitation des victimes, ainsi que la poursuite du processus judiciaire en cours devant les chambres criminelles spécialisées en justice transitionnelle (ci-dessous les chambres spécialisés), mises en place en 2018. Au cours de son mandat qui s’est achevé en 2018, l’IVD aura au total instruit et transféré 200 dossiers judiciaires aux 13 chambres spécialisées(1). Toutefois, une analyse effective des affaires aujourd’hui ouvertes porte ce nombre à 205 dossiers(2) . Cet écart s’explique par le fait que certains dossiers ont été scindés, d’autres joints après l’appréciation des juges et selon les liens entre témoins, victimes et accusés. Les dossiers transférés concernent des violations graves des droits humains, ainsi que des crimes financiers commis entre 1955 et 2013. La grande majorité des auteurs présumés n’a pas répondu aux convocations de l’IVD dans la phase d’enquête d’instruction. Les affaires instruites et transférées aux chambres spécialisées reflètent un éventail illustratif des événements marquants de l’histoire tunisienne et des violations graves des droits humains qui y sont relatives : le contexte de lutte contre le régime colonial, les violations commises contre l’ancienne famille royale, le conflit Bourguiba Yousséfistes, la bataille de Bizerte de 1961, la tentative de coup d’Etat en 1962, la répression des militants de gauche et des militants panarabes, le Jeudi Noir de 1978, les émeutes du pain de 1984, la répression des militants islamistes, les violations de l’affaire du Bassin minier de Gafsa, les violations commises lors de la révolution de 2011, les événements de la Chevrotine de Siliana en 2012 ainsi que 49 affaires de corruption. En statuant sur ces affaires, les chambres spécialisées ont ainsi vocation à poursuivre et compléter le travail de mémoire et de recherche de la vérité entamé par l’IVD. Elles ont aussi pour mission de rendre justice aux victimes et, le cas échéant, de sanctionner les auteurs de violations afin notamment de garantir que de telles atrocités qui ont endeuillé la Tunisie pendant des décennies ne se reproduiront jamais. La première audience devant ces chambres a eu lieu le 29 mai 2018, dans l’affaire “Kamel Matmati”, victime de disparition forcée en 1991(3). Depuis, la quasi-totalité des procès a commencé devant l’ensemble des chambres spécialisées ; elles se poursuivent à des cadences différentes. Deux ans après le début du premier procès, le bilan du travail des chambres spécialisées est en demi teinte. Lentement, les procès avancent et la vérité se révèle peu à peu au fil des audiences. Des figures de l’ancien régime sont amenées à rendre des comptes, mais trop d’accusés continuent de se distinguer par leur absence.
A ce jour, aucun jugement n’a encore été rendu dans aucune affaire.
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