« Aujourd’hui, je vais tout faire pour que tu enlèves ce niqab ! »
Amal*, 30 ans, Grand Tunis
En juillet 2020, Amal a trouvé le courage de saisir le tribunal administratif pour dénoncer plus de 10 ans de harcèlement policier subi en raison de son fichage. Les perquisitions, interpellations dans la rue, visites domiciliaires, convocations au poste de police et interrogatoires humiliants ont fait de sa vie et de celle de sa famille un enfer. Amal est une des milliers de personnes « fichées S » auxquelles la police inflige des mesures de contrôle administratif arbitraires aux conséquences psychologiques, sociales et économiques dramatiques.
Divorcée et mère de famille, Amal, 30 ans, porte le niqab depuis de nombreuses années. Elle raconte que le harcèlement policier à son encontre a débuté avant la révolution. Entre 2011 et 2017, son domicile et celui de ses parents ont été plusieurs fois perquisitionnés. A partir de 2017, la police a changé de mode de surveillance. Cette année-là, elle a été arrêtée devant un hôtel de la banlieue de Tunis, alors qu’elle se dirigeait vers l’hôpital pour voir sa fille malade. Voyant une femme en niqab, la direction de l’hôtel a appelé la police. Deux agents en civil sont arrivés sur les lieux, ont demandé à Amal sa carte d’identité et ont exigé qu’elle les accompagne au poste de police. Quand elle a refusé demandant pour quelles raisons ils voulaient qu’elle les suive, ils l’ont embarquée de force.
Une fois au district de police, trois agents l’ont interrogée sur sa façon de faire la prière et ses liens avec des salafistes. Elle a été ensuite présentée devant le procureur de la République au motif qu’elle aurait refusé de donner son identité aux agents qui l’ont interpelée. Selon Amal le procureur lui a reproché d’avoir circulé dans ce quartier et lui a dit qu’il y avait des lieux dans lesquels une femme comme elle ne pouvait pas aller, vraisemblablement en raison du port du niqab.
Amal pense que son fichage remonte à cet incident. Elle n’en a toutefois été informée qu’en juin 2018 lors d’un contrôle d’identité au centre ville de Tunis où elle se trouvait avec des amis. Les agents les ont conduits ses amis et elle au poste de police de proximité. Amal y a été interrogée sur ses pratiques religieuses, les chaînes de télévision qu’elle regarde, les livres qu’elle lit, ses fréquentations, les raisons qui l’ont conduite à porter le niqab, etc. Un de ses interrogateurs lui a dit : « Aujourd’hui, je vais tout faire pour que tu enlèves ce niqab ! Personne n’a jamais continué à le porter après avoir été interrogé par moi ». Elle a finalement été libérée à l’arrivée de son avocat à 2h du matin, après neuf heures de détention.
Elle a depuis lors de nouveau été arrêtée à de très nombreuses reprises. En 2019, après une de ces arrestations arbitraires, elle a été conduite au poste où elle a subi une fouille intégrale très humiliante. L’année suivante, elle a de nouveau été arrêtée et conduite dans un poste où des agents l’ont frappée pour la forcer à signer des documents dans lesquelles elle affirmait avoir des idées extrémistes. Puis elle a été conduite dans un autre poste où on lui a fait subir un énième interrogatoire sur ses pratiques religieuses, ses lectures, ses fréquentations…
Plus récemment, elle a été licenciée de son travail en raison des pressions exercées par la police sur son employeur et a été de nouveau agressée près de son domicile par des agents de police voulant contrôler son identité.